tribunes
Une lettre ouverte au CSA
Lundi 30 mars 2015 | 12h34CFDT-M�dias de France T�l�visions adresse une lettre ouverte passionnante au Conseil sup�rieur de l'audiovisuel pour �voquer la d�signation du nouveau pr�sident de la t�l�vision publique.
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel,
Vous êtes actuellement très courtisés et sollicités par les candidats officiels, officieux ou non encore déclarés à la présidence de France Télévisions. Le législateur n’a pas prévu de donner aux représentants des salariés voix au chapitre dans le processus de désignation. Et c’est bien ainsi, puisque nous ne sommes pas organisés dans un système de cogestion.
Cependant, comme beaucoup de gens ont leur avis sur la question, voire leur favori et reçoivent dans leur cabinet ou leur antichambre, la CFDT-Médias, deuxième syndicat des salariés à France Télévisions, prend la plume pour vous faire part de leurs aspirations, de leurs envies, mais aussi d’une grande exaspération devant la dérive d’un groupe et sa déshumanisation, alors même que l’humain est au cœur de nos métiers et de nos vocations.
Pour être très clair, dans la situation que nous traversons et à l’aurore de celle que nous pressentons, si l’on en croit les chiffres de déficit énorme qui circulent sous le manteau (plus de 300 M€ ?), l’état social de l’entreprise, l’absence de projet fédérateur, le bilan d’une présidence faible, les effets dévastateurs de la fusion, certains (es) oseraient considérer comme crédibles des candidatures de personnes qui ont contribué activement à faire de France Télécom-Orange un emblème national du management brutal et finalement mortifère.
Le week-end dernier, un collègue de France 3 Nancy s’est donné la mort sur le parking de la station. Les causes profondes de son geste sont bien sûr complexes.
C’est le sixième suicide officiellement recensé ces dernières années à France Télévisions. Les recours contentieux s’empilent dans notre bureau. Les situations de stress extrême, les alertes de CHSCT, se multiplient partout dans l’entreprise. Beaucoup pour faire la lumière sur les attitudes, les agissements de certains cadres totalement hors de contrôle. La société provisionne plusieurs millions d’euros de contentieux chaque année dans ses comptes.
La réorganisation de l’entreprise due à la fusion imposée par Nicolas Sarkozy et jamais remise en cause, n’a toujours pas produit la moindre économie d’échelle mais cause de nombreux dégâts dans la vie quotidienne au travail des 10 000 salariés de France Télévisions qui n’ont pas, eux, la chance de pouvoir suspendre leur contrat de travail pour créer une société qui obtient le jour même des contrats… avec FTV.
France Télévisions étant financée par l’argent du contribuable, elle devrait à ce titre, sinon être exemplaire, du moins vertueuse. Nous sommes loin du compte. Dans ce contexte, le rôle de vigilance des syndicats devient encore plus complexe, car, qui paye pour ces turpitudes, ces incuries, ces incompétences ? Le contribuable à un bout des chaînes, le salarié à l’autre.
Plan de départs bien volontaires, car généreux pour certains hauts cadres très proches de la retraite, pénurie de moyens pour faire de la télé mais pas pour la superstructure ni les cabinets de consulting, pression sur les salariés de base mais jamais de remise en cause des rentes de situations assises en fauteuil club. Il ne s’agit pas ici d’un discours populiste mais bien de la réalité.
Le rapport Vacquin sur les risques psycho-sociaux dans l’entreprise - même expurgé de la moitié de ses pages par la Direction ! - jette une lumière crue sur une société qui néglige ses salariés les plus modestes, parce qu’il est bien connu « qu’on a de la chance d’être là et que par rapport à ce qui se passe ailleurs, on a aucune raison de se plaindre à France Télé ». Un discours largement relayé par les élites du microcosme parisien. Le même finalement qu’à France Télécom. Et les mêmes symptômes chez des salariés qui partagent d’abord l’attachement à leur mission de service public, mais qui ont de plus en plus de mal à la repérer parmi le brouillard « Déhéracho-Financier » dans lequel les a plongé l’entreprise unique. La fusion qui engendre la confusion dans l’entreprise et dans les esprits.
C’est une première, la CFDT a récemment retiré sa signature des accords collectifs qu’elle avait ratifiés il y a dix-huit mois. Nous sommes par tradition un partenaire historique du dialogue social, notre culture de la négociation, du compromis juste nous dicte d’avoir le courage d’assumer nos choix, nos engagements et de peser l’équilibre entre ce qui est juste pour les salariés et possible pour l’entreprise. Malgré tout, devant le nombre de contentieux que les nouveaux contrats de travail ont déclenché, devant la déloyauté de la direction dans l’interprétation qu’elle fait du texte, il nous est apparu impossible et immoral de cautionner un accord léonin, qui aboutit à déstabiliser des milliers de salariés et à décrédibiliser les partenaires sociaux.
De notre point de vue, il faut bien peser les conséquences du basculement du groupe en organisation matricielle. Le changement de culture est si important, de chaînes autonomes imparfaites mais réactives à tous les niveaux, en groupe avec DRH unique, comptabilité analytique et refacturation entre services internes, que personne ne s’y retrouve, et surtout, que personne ne sait le piloter. La conséquence c’est qu’il est de plus en plus difficile pour les salariés, de tout simplement faire leur travail. Les cadres les plus compétents se sentent – et sont – déresponsabilisés, les plus serviles appliquent bêtement les consignes et sont promus.
Le salarié est sidéré. Le téléspectateur oublié.
Ainsi, dans la période extrêmement troublée que nous traversons, la CFDT n’hésitera pas, ne tremblera pas face au nouveau (elle) Président (e), si il ou elle ne donne pas toutes les garanties de capacité, de bonne foi quant à la gestion de cette crise sociale et humaine qui couve. Et pour agir, nous n’attendrons pas la prochaine vague de suicides ! Il nous parait important que vous entendiez le son du terrain, pour que vous puissiez délibérer en toute connaissance de cause.
Comment l’entreprise peut-elle sortir de cette impasse ? Tout d’abord, elle a besoin des décisions (un événement rare depuis cinq ans ici), de projets, d’innovation, d’audace, mais également de compétence, de bonne gestion, de justice, de bienveillance et de laisser s’exprimer la passion pour ces métiers que nous pratiquons.
Pour l’instant c’est peu dire que l’imagination n’est pas au pouvoir et la compétence pas toujours au volant. Les cooptations, les clans tiennent le plus souvent lieu de cabinet de recrutement pour constituer les équipes de Direction. Alors, se développe la culture de « celui qui n’est pas dans mon équipe est forcément contre moi ». Elle s’est particulièrement répandue sous l’actuelle présidence. En dehors du fait qu’elle est improductive, la culture de l’entre soi coûte de l’argent.
Bien sûr, il y a le cas France 3. On a fait de cette chaîne le coupable idéal du malaise de la télé publique. Encore une fois, on veut s’en sortir par une pirouette sophiste. Ce serait la faute des salariés, avachis dans leur confort social si la chaîne est soi-disant « in-réformable ». La réalité, c’est que le réseau qui emploie la moitié des salariés de FTV n’est doté d’aucun projet éditorial nouveau depuis quinze ans maintenant. La réalité c’est que le taux d’encadrement a enflé de manière inversement proportionnelle à la quantité de programmes régionaux produits. La réalité c’est que son directeur général actuel agit en totale autonomie du groupe et en autarcie, restant aveugle et sourd aux évolutions du monde. Ancien ingénieur TDF, c’est sans doute par déformation professionnelle, qu’il donne l’impression de ne pouvoir fonctionner que par réseau, c'est-à-dire en circuit fermé, de l’intérieur.
Sur le terrain, les salariés désespèrent d’un peu de nouveauté. Ils ont souvent l’impression qu’on leur a attribué le rôle de l’élève décrocheur, au fond de la classe. Là aussi, va-t-on leur faire payer cette gabegie ou bien réorganiser par le haut de la pyramide, par l’utile et profiter de l’opportunité du redécoupage régional pour enfin réinventer la chaîne des régions. Nous ne nous étendrons pas sur le scandale du rapport Brucy. Être obligé de payer une commission pour trouver un projet à une direction, elle-même payée pour cela… A l’inverse de la série « Les Envahisseurs », la commission Brucy cherchait un projet, et a finalement trouvé… un raccourci.
Une des missions régaliennes de France Télévisions, c’est bien sûr l’information. Les journalistes de la maison ne sont pas ceux qui se plaignent le plus, ils traversent pourtant une vraie crise. Il y a d’abord la majorité en Régions et en Outre-mer qui depuis longtemps a le sentiment d’être livrée à elle-même avec ses créneaux horaires inamovibles, pas ou trop peu de décrochages qui lui permettrait de reprendre une place centrale dans l’information régionale, ses moyens qui peuvent paraitre importants en termes techniques ou immobiliers mais qui en réalité, interdisent de payer une chambre d’hôtel à une équipe de reportage dans sa région. La paupérisation de l’information dans des locaux entièrement refaits pour la plupart, peuplés par un encadrement qui s’est multiplié, notamment depuis la fusion des chaînes.
Il y a ensuite les rédactions nationales prises dans l’étau du projet "Info 2015", qui doit théoriquement remettre de la cohérence entre France 2 et France 3, mais dont personne n’a été capable de présenter le moindre projet éditorial devant les instances de représentation du personnel, qui vont ester en justice… Encore une économie de temps, de moyens par une gouvernance loyale et logique ! Il faut dire que le Directeur des rédactions et sa garde rapprochée ne sont pas des inconditionnels du dialogue.
Chaque système trouve un jour ses limites…
Le bilan de celui-ci sera marqué par l’importation du modèle des chaînes d’information continue dans des chaînes généralistes, qui devraient pourtant s’en différencier. La taylorisation du travail des journalistes devient la règle. Au sommet, le desk et le Rédacteur en Chef ou son adjoint, dépêches en main, passent aux journalistes sur le terrain, les commandes de ce qu’il faut voir et entendre (et donc comprendre) d’une réalité qu’ils ne rencontrent pas. Pour réaliser ces reportages télécommandés, on multiplie les équipes (vous pouvez le constater en lisant les signatures en fin de reportage) qui travaillent par morceau de sujet. Les jeunes journalistes à la recherche de contrats ne peuvent qu’obtempérer. Elles et ils ont intérêt d’ailleurs ! A tel point que le CHSCT du siège demande actuellement l’ouverture d’une enquête sur les pratiques managériales à la rédaction de France 2. La parole va peut-être enfin se libérer…
Par ailleurs de plus en plus de magazines, d’émissions prestigieuses, sont réalisés à l’extérieur de France Télévisions. Des journalistes avec des statuts précaires, payés pour partie en droits d’auteurs, qui font don aux producteurs d’une partie de leurs jours de travail mais qui sont quand même chargés de dossiers d’investigation et donc de dénoncer certains dysfonctionnements de notre société. Oui, il s’agit bien d’une forme de schizophrénie. Voici le portrait, peut-être inhabituel pour vous, mais de terrain, de l’information à France Télévisions.
Il serait injuste de ne pas mentionner ce nouveau phare des médias qui brille dans la nuit noire de la télé publique : notre plateforme internet. France Télévisions se targue, avec raison pour partie, d’avoir pris sa place dans le numérique. Reste à savoir laquelle précisément et à quel prix ? Il serait ahurissant de n’obtenir aucun résultat pour 85 M€/an, soit 220% du budget de France 4 !
Nous sommes sans doute vieux jeu, mais beaucoup des nouveaux prophètes du web nous rappellent ces vendeurs de remèdes miracles dans le Far-West, avec en plus, des qualités de prestidigitateurs de chiffres. Malgré beaucoup de communication, FTV Info ne pointe toujours pas dans le Top 25 des sites les plus visités. FTVEN est en revanche en bonne place dans le classement des mauvaises pratiques managériales (encore des alertes et des enquêtes CHSCT), de l’abus de stagiaires, de la signature à tours de bras de prestataires extérieurs, de recrutements extérieurs plutôt que dans le vivier de plus de 2500 journalistes du groupe – qui doivent tous être des ringards et qui surtout, encore une fois, ne font pas partie de la bande. A quoi tient la réussite…
Il est vrai que le mentor de cette plateforme à tant de responsabilités qu’il ne peut régler chaque « détail » des nombreux chantiers vers lesquels l’entrainent ses talents infinis et pas encore assez reconnus. A tel point, qu’il est plus facile de gagner au bonneteau à un feu rouge, que de savoir quand on a la chance de le croiser à qui l’on s’adresse. Au patron de I'Internet, au directeur de France 5, à celui des antennes, à celui de Sciences Po ? La tête nous tourne, on se sent bien peu de chose…
L’affaire Bygmalion nous l’enseigne, des marges de manœuvre importantes existent à France Télévisions, à condition qu’une nouvelle gouvernance, fondée sur une nouvelle éthique, remplace les mauvaises habitudes. Comment des directeurs peuvent-ils occuper plusieurs postes, parfois à l’extérieur de France Télévisions ? Comment peuvent-ils remplir loyalement leurs fonctions auprès de deux employeurs dans deux services, quand ils sont deux fois directeurs ? Comment sous prétexte de « secret industriel », est-il encore possible qu’aucun service indépendant ne puisse exercer un contrôle sur l’équité des contrats signés avec les producteurs, quand ceux-ci servent souvent d’agence de reclassement d’anciens cadres ?
Comment France Télévisions peut-elle ne produire que moins de 10% de ses programmes de flux, sous prétexte que la comptabilité analytique interne affirme qu’il est moins onéreux de produire à l’extérieur, sans en apporter la démonstration financière pour cause de… secret industriel ? Pourquoi France Télévisions n’est-elle toujours pas le plus grand propriétaire de studios à la plaine Saint-Denis ou à Lille ou à Bordeaux ou ailleurs, alors même que la BBC estime que cette stratégie est bonne pour elle ?
Nous avons désormais la conviction, et aussi quelques éléments de preuve, que France Télévisions est considérée par « le milieu » comme un point d’eau de 2,8 milliards d’euros, auquel les grands animaux de la savane audiovisuelle – et parfois politique - viennent s’abreuver selon la préséance autorisée par leur position dans la chaîne alimentaire. Tous n’en « croquent » pas mais beaucoup sont infectés car le système dérive depuis trop longtemps.
En ce sens, la plainte Bygmalion, dont nous sommes partie civile, est une innovation dans le dialogue social qui nous parait tout à fait intéressante et porteuse d’avenir…
Qui aura le courage, dans l’intérêt général de remettre le système à plat pour en bâtir un nouveau, plus équitable pour la société, ses financeurs, les téléspectateurs et ses salariés ?
Dans ce contexte nous vous faisons confiance, Mesdames et Messieurs, pour repérer au sein « ds écuries candidates », les groupes de pression, les fondés de pouvoir qui font campagne pour le (la) candidat(e) qui saura au mieux représenter LEURS intérêts. Nous n’osons croire que ce poison puisse toucher jusqu’au cœur même de votre institution, malgré les rumeurs qui courent ces dernières heures à ce sujet. Les salariés de France Télévisions ont besoin d’un CSA au-dessus de tout soupçon pour croire en leur avenir, dans la personne et l’équipe que vous élirez dans quelques jours. Nous savons que vous aurez à cœur de le préserver. La dernière nomination, fait du Prince de la République, a gravement entaché, la légitimité du Président actuel de France Télévisions. La prochaine doit pouvoir être insoupçonnable.
Informer, Cultiver, Distraire. Nous avons souvent l’impression que, de cette devise, on ne retient que le dernier mot dans le but unique de nous distraire de l’essentiel. France Télévisions est potentiellement un groupe puissant, un acteur majeur de l’audiovisuel français, un rouage important de notre démocratie. Entre quelles mains allez-vous le placer ? Et comment ? Par des candidatures secrètes, par un système opaque, sans aucune visibilité ni même information sur les projets, les équipes qui les ont bâtis ?
Alors même que les deux grands partis politiques du pays désignent désormais leurs candidats à l’élection présidentielle par un vote ouvert, et au moyen d’un large débat public, sans pour autant atteindre le même niveau de transparence, allons-nous continuer à être informé sur « l’avancement des travaux » par la supputation, les indiscrétions, et le murmure sur l’élection du ou de la responsable du plus gros budget audiovisuel de France et de la plus grande rédaction d’Europe ?
Il est vrai que les promesses de campagne n’engagent que ceux qui les reçoivent. Mais quand, pas même une seule, n’est avancée publiquement, il nous est alors impossible de savoir, si le programme que vous a présenté à l’époque, le futur PDG de Radio France, comprenais ou non la réfection en urgence de son bureau pour plus de 100 000 €. Aux salariés de la maison ronde, en grève actuellement, non plus d’ailleurs…
De l’expérience, des références dans le métier, le sens de l’intérêt général, la volonté de réformer dans un souci d’honnêteté et d’équité pour la société et ses salariés, l’enthousiasme pour la création, la loyauté et la bienveillance humaniste et par-dessus tout l’indépendance.
Le portrait du (de la) Président(e) que nous attendons est facile à brosser mais difficile à combler. C’est toute la grandeur de votre tâche, Mesdames et Messieurs, que vous remplirez au mieux, nous en sommes certains.
Ceci est notre modeste, mais honnête contribution à ce processus. Nous espérons qu’elle trouvera sa place dans votre réflexion.
Veuillez recevoir, mesdames et Messieurs les conseillers, nos plus respectueuses et républicaines salutations.
La page Facebook du syndicat CFDT Medias de France Télévisions est ici...
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